Par Jean-François Caron, Président de la Fabrique des transitions et ancien maire de Loos-en-Gohelle
« La transition écologique et sociale de nos territoires ne peut plus attendre. Pourtant, face à l'urgence, nous commettons trop souvent l'erreur de vouloir imposer des solutions techniques sans avoir construit une vision partagée. Mon expérience de terrain, notamment comme maire de Loos-en-Gohelle et vice-président régional, m'a appris que la réussite d'un projet de territoire repose avant tout sur sa capacité à mobiliser l'intelligence collective.
La première illusion à déconstruire est celle du "projet parfait", conçu en chambre par des experts. Un véritable projet de territoire ne peut être que le fruit d'une démarche collective, ancrée dans la réalité locale et portée par l'ensemble des acteurs. Il ne s'agit pas d'additionner des revendications individuelles - ce que j'appelle le "syndrome du catalogue" - mais de construire une vision commune, qui donne du sens et du souffle à l'action collective.
Cette construction nécessite d'abord de reconnaître et d'accueillir la diversité des points de vue. Dans mon territoire minier, les descendants de mineurs issus de l’immigration (Pologne, Maghreb, etc.) n'ont pas la même lecture de l'histoire que les familles installées depuis des générations. Cette diversité n'est pas un obstacle, mais une richesse, à condition de savoir l'intégrer dans une vision partagée. Le projet doit être suffisamment ambitieux pour faire rêver, tout en restant ancré dans les réalités du territoire.
La transition ne peut se décréter d'en haut. J'utilise souvent cette formule :"participation sans responsabilisation égale piège à cons". Sans une véritable implication des acteurs dans la définition du projet, nous n'obtiendrons que des doléances irréalistes ou des oppositions stériles. Le rôle des élus n'est pas d'imposer leur vision, mais d'organiser cette construction collective, de maintenir le cap tout en sachant accueillir les résistances et les initiatives.
L'approche doit être systémique. Cloisonner les enjeux - l'économie d'un côté, l'environnement de l'autre - nous condamne à l'échec. Le changement climatique impacte profondément nos modèles agricoles, économiques et sociaux. La transition exige donc de penser simultanément l'écologie, la justice sociale et la transformation économique.
Enfin, n'oublions pas que le meilleur projet ne vaut que par sa mise en œuvre. Un schéma qui finit dans un tiroir est un échec, quel que soit son contenu. Le succès repose sur notre capacité à maintenir la mobilisation dans la durée, à travers un suivi régulier et une évaluation partagée des avancées.
La transition de nos territoires est un défi immense, mais il n'est pas insurmontable. À condition de comprendre qu'il s'agit moins d'un défi technique que d'un art de la construction collective. C'est en redonnant du sens et du souffle à l'action publique que nous pourrons mobiliser les énergies nécessaires à cette transformation vitale de nos sociétés. »